La gifle

QuatennensLa gifle d’Adrien Quatennens est en train d’acquérir un statut de mal absolu qui renvoie le meurtre au rayon des hobbies et la pédophilie au statut d’aimable badinage. Certes c’est pas joli c’est pas poli de gifler son épouse, si énervante qu’elle ait pu se montrer, mais il conviendrait peut-être de relativiser l’horreur de la chose. Le prince Mohamed Ben Salman a assassiné et dépecé le journaliste Jamal Khashoggi dans une ambassade à Istanbul, il est responsable d’une guerre au Yémen qui a fait à ce jour plus de 377000 morts et provoqué le décès d’un enfant toutes les 9 minutes en 2021. Or sa carrière se porte comme un charme, contrairement à celle d’Adrien Quatrennens qui a volé en éclats. Est-ce que la presse n’en ferait pas un peu trop ?

À vrai dire, ce n’est même plus qu’elle en fait un peu trop, elle a carrément changé de nature et de fonction. Son rôle n’est plus d’ouvrir les yeux des citoyens sur la réalité, mais de brouter la réalité comme un troupeau de chèvre et de rejeter ses crottes de bique sur les plateaux télévisés sous la forme d’une infâme glandée de sentences  moralino-sociétales qui ferait fuir le moins regardant des pourceaux. On la visualise presque sur leur tête la toque de juge qu’ils s’imaginent mériter, on le devine presque le revers d’hermine qu’ils se fantasment, et on croit presque le voir le tonneau de goudron et de plumes qu’ils se tiennent prêts à lancer à la tête des coupables. Et grand malheur à qui se rend coupable de nuances, car celui-là ne réalise pas la gravité du péché sur lequel la presse unanime a braqué les projecteurs les plus puissants de son camp de redressement moral. Il est d’un autre temps, il est d’une autre époque, il a scotomisé me-too, il est bon à jeter aux cochons, le vieux croûton phallocrate et patriarcophile.

Rappelons au passage que tout ceci se passe à une époque qui a accouché de la plus virulente forme de capitalisme que la terre ait jamais portée. Une forme hautement contagieuse qui a étendu ses ravages d’un bout à l’autre de la planète. Elle y a perfusé comme une religion dont le dieu et le principe sont le marché et le profit. Elle a pour objet caché de soumettre la totalité du réel à la jouissance d’un tout petit nombre de goinfres. Elle instaure une anthropologie nouvelle où toute instance de solidarité, du fait de son potentiel marchand, est pulvérisée, recomposée et soumise à la gestion d’intérêts privés qui la pilote le regard rivé sur leur compteur de bénéfices. Elle jongle avec de l’argent virtuel qui nous balade de crise en crise, et pour faire bonne mesure, elle se moque comme de l’an 40 des dommages qu’elle inflige aux sols, aux animaux, à l’eau, a l’air, à la mer, ainsi qu’à tous les paramètres qui régulent le climat. Mais pour l’aréopage de plumitifs qui régissent l’opinion, tout cela n’est rien en comparaison d’une gifle. Une gifle malencontreusement donnée par un homme qui, lui, se trouve être particulièrement affûté et conscient des causes du malheur du monde telles que je viens de les rappeler.

J’aurais tendance à dire : c’est bien dommage, cette histoire. Mais peut-être devrais-je plutôt dire : c’est bien fichu, leur histoire. Ceci dit, puisque tout le monde a l’air d’accord, continuons donc à rouler à tombeau ouvert vers l’abîme en excommuniant les meilleurs d’entre nous pour une dispute conjugale et en discutant à n’en plus finir sur le sexe des barbecues.

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